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Zoom, Skype & consorts... (Suite)

(Cet article fait suite à notre édito que vous retrouverez ici.)


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Curieux n’est-ce pas, que de constater le renversement d’horizon actuel, alors que nous choisissons de stocker nos prédications dans les nuages numériques ? Curieux aussi que d’avoir fait d’un espace de stockage, un espace tout court ! Ainsi, de la même façon qu’on dirait « je vais sur Mars » ou « je vais à l’église », on dit désormais : « je vais sur YouTube » ; brouillant ainsi les frontières que certains voudraient fusionner entre réel & virtuel pour mieux capter notre temps d’attention… & souvent au détriment de notre santé mentale.

Ne sommes-nous pas d’une certaine façon entrés dans une forme de vie spirituelle « hors-sol », que précipite la distanciation sociale ? Pour quels résultats ? Un collègue pasteur me faisait remarquer à quel point le manque de vis-à-vis communautaire était en train d’affaiblir la vitalité de ses prédications. Nous sommes nombreux à faire l’expérience d’une vie tronquée, partielle… on devine un désir, un besoin de complétude.

À l’heure où le spectacle vivant hurle sa nécessité dans la vie de la cité, ne faut-il pas considérer comme tout autant essentiel le vécu incarné de notre spiritualité ?

Il est touchant de relire certaines paroles de l’apôtre Paul où il indique le « bientôt » de sa visite. Ces épîtres n’étaient qu’un prélude à une rencontre bien réelle. Une rencontre ouvrant aux nuances & ajustements relationnels qui nous échappent en partie aujourd’hui. La lettre ne suffit pas, non : il faut se rencontrer pour s’embrasser, s’attabler & se télescoper parfois. Il faut pouvoir se dire l’Espérance les yeux dans les yeux. C’est là la condition essentielle du témoin. Comme faire mémoire du partage du pain & du vin… Je rejoins là, en partie nos amis catholiques pour qui la Communion doit être incarnée, présentielle. Le numérique ne peut ni ne doit devenir le Corps de l’église. Au final, ce n’est qu’en lisant « ensemble » le texte que nous tissons alors la trame du tissu nous revêtant.

Une trame qui souvent se déchire dans les pseudo-discussions numériques.

Comment ne pas voir la radicalisation des propos — qui souvent précèdent la violence dans le réel — alors que les algorithmes encouragent la présentation priorisée de contenus que nous avons déjà aimés parce que miroirs de nos peurs. A chaque fois, notre intelligence à dialoguer dans la complexité du monde & avec notre prochain s’en trouve affaiblie… Notre cerveau, ainsi habitué à la facilité, se complaît dans la consommation industrielle de contenus préfabriqués. On ne sait plus que se taire, passifs ou hurler, agressif… L’entre-deux est menacé par l’entre-soi même.

Je sais aussi, combien il peut être tentant pour les prédicateurs, de puiser dans les #Tags tendances pour ainsi coller aux sujets qui montent… et additionner les pouces levés. Confondant ainsi la séduction, du témoignage radicalement authentique de ce que le Christ accomplit en eux, ils pourraient ainsi encourager la défiance envers une parole que certains jugeront creuse, car trop « marketée » et dans un registre qui n’est pas le sien. Dans la Bible, celui qui séduit est nommé le Satan, le diviseur. Certains ont même compris (mais pas chez nous ;—) que choquer, provoquer, cliver en activant les peurs & en pointant du doigt était un moyen puissant de capter un public avide de paroles « vraies. »

Mais allons un peu plus loin en posant le risque de l’exposition numérique : Qui osera vraiment, face à la virulence de la critique en ligne, proposer un sujet plus « risqué », « à contre-courant » ou simplement biblique & voir ainsi son nom associé « pour l’éternité numérique » à une campagne de calomnie ou de commentaires négatifs ? Quelles institutions supporteront le risque d’une parole inégalement calibrée entre ses pasteurs ou communautés, pour répondre aux standards actuels de communication ? L’autocensure est un risque non négligeable qui va à l’encontre du risque assumé d’un témoignage dérangeant et pour lequel le Christ se dressera — sans un mot — au milieu d’une assemblée de chaire aux actes bien cruels.

Mais prêcher, ce n’est pas juste annoncer le Christ : c’est, comme Lui, marcher en compagnie… et prendre le temps d’un échange nourri des questions soulevées par la prédication. Le numérique se prête si peu à cet exercice, à cette saine discipline devrais-je dire. On est loin de l’indignation permanente spontanée & irréfléchie du moment sur les réseaux. Loin aussi de la terreur émotionnelle dans laquelle nous tournons en boucle sur les chaînes d’infos avec des simulacres de débats décapités par les encarts publicitaires. En marchant, lorsque la parole s’épuise, il existe la possibilité de reprendre son souffle, d’un air gratuitement mis à notre disposition à tous… et d’écouter le pas de ses coreligionnaires dans ceux du Guide. C’est ici la simple sagesse du pèlerin.

L’altérité & le temps d’être ensemble : voici l’horizon sabbatique concret vers lequel doit pointer aujourd’hui notre présence numérique.

J’aime l’idée d’un groupe humain où, pour cheminer, Dieu nous propose de nous disputer à genou ! Je m’explique : la dispute au sens étymologique est en faite une discussion argumentée & respectueuse de l’altérité. Ainsi, j’en vois parfois certains s’offusquer des politiques qui, après une passe d’armes à l’Assemblée nationale, se retrouvent à manger ensemble. « Compromission », hurlent-ils. Je dirai plutôt : sagesse & maturité plutôt que de refuser l’humanité d’un repas au prétexte d’un désaccord ou d’une ligne différente. La nation mérite mieux que des invectives. Le royaume de Dieu aussi. Le Christ avait singulièrement perçu ceci. Il proposa le repas de la Cène comme un moyen de régulation actif de notre relation à Dieu & à nos semblables. Un moment qu’il présida ponctué d’intercessions. Allez relire un peu les récits qui précèdent la Cène dans les évangiles pour saisir le génie pédagogique nécessaire du Pain et du Vin partagés. Le Christ s’en va bientôt & l’inquiétude des disciples est palpable. Mais sa présence est bien réelle, elle se partage. À l’avenir, cette présence s’incarnera à chaque fois que les gestes & les paroles se feront, en « mémoire de Lui. » Et Le Paraclès, Saint-Esprit consolateur & défenseur, assurera la continuité de la présence « en attendant » le « bientôt » de la seconde venue du Christ.

Confinés au XXIe siècle, les chrétiens sont les témoins nécessairement engagés de cette présence concrète. Une présence qui se doit de résister à la tentation d’une virtualisation de notre vie spirituelle. Le faire serait s’écarter par essence du cœur du message messianique ; précipitant un peu plus la privatisation de la foi, la désincarnation & l’effacement de l’église.

Puissions-nous saisir l’importance d’une présence qui se niche « en creux » dans les liens se tissant jour après jour sur les bancs d’église au-delà ; liens reliés « en Esprit & en Vérité » au Christ.

Dans un horizon dé numérisé et bénis de Sa présence : osons la vie incarnée !

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