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Un dimanche de Pâques : 9 h 10

Dimanche de Pâques : il est 9 h 10 du matin & j’ouvre la baie vitrée de mon appartement pour y goûter l’air frais d’un dehors particulièrement pur en ce printemps suspendu et immobile ; comme s'il lévitait entre l’hiver déjà lointain & le mirage d’un été sans cesse repoussé.


Curieusement, le glissement latéral de cette porte attire mon attention d’une manière particulière : une vague impression de familiarité vécue ou perçue à un autre endroit de ma vie… ou peut-être chez un autre. Je reviens en arrière et m’interroge : comment ce geste mille fois répété peut-il prendre cette fois-ci un relief significatif pour moi ? Un peu à la manière des rêves recyclant les événements de la journée écoulée, je revisite mentalement ceux de la veille ; dans ce qu’ils ont pu induire de familiarité dans cette ouverture de côté. Quelques flashs donc de ces moments vécus dans le désordre de mes pensées : Comme cette ballade limitée dans le temps sous les cerisiers en fleurs et cette impression de Japon sous les regards émerveillés là, juste au bout de mon quartier ; un quartier flottant ainsi dans la grâce lumineuse de la fameuse « golden hour » si prisée des photographes… Et d’admirer cette mère courage, poussant dans une chaise son fils handicapé sous la haie d’honneur florale que la nature leur faisait. "Le pouvoir des fleurs", affirme le saltimbanque…


Je reviens à présent sur le rythme de nos pas « comptés » - dans la stricte limite du kilomètre sans doute transgressé de peu - pour aller saluer à quelques mètres de distance une enfant née voilà peu et ses chers parents si beaux d'attention, de fatigue. Et nous voilà, ma femme et moi, mages d’un instant à la suite d'un astre lumineux, saluant la vie fragile & précieuse avant de nous en retourner dans notre pays - entendez ici notre appartement !


S’enchaîne maintenant le souvenir de cette "innovation" pédagogique parentale avec cette enquête familiale proposée à nos adolescentes pour revisiter la temporalité liturgique de Pâques. À l’aînée le soin d’enquêter sur la Pâque juive ; à la cadette les Rameaux & la Pâque catholique ; au père de famille le soin d’expliquer la perceptive adventiste. Enfin, à mon épouse, le soin de préparer les éléments de base d’un repas de Pâques pour en dresser la table & le déguster « en conscience » de l’héritage du Christ.

« Faites ceci en mémoire de moi… » avait-il proposé. Nous en faisons notre mot d'ordre pratique tout en nous instruisant les uns les autres.


Il y a aussi l’invitation par texto d’une amie - précieuse pour la délicatesse de son humanité toute en sensibilité - à réécouter la Passion selon Saint-Matthieu de Bach. J’en profite pour relire le commentaire d’Hellen Cao - à l’occasion d'une radiodiffusion donnée le 19 avril 2019 sur France Musique :

"dès le premier chœur, un choral, « O Lamm Gottes unschuldig », se greffe sur la polyphonie du double chœur : les sopranos implorent d’emblée l’« innocent Agneau de Dieu sacrifié sur le tronc de la croix ». Pas de choral, en revanche, dans l’ultime numéro, berceuse douloureuse qui referme cette immense méditation sur le sacrifice de Jésus. Alors que d’autres compositeurs terminent sur l’espoir de la Résurrection, Bach reste obsédé par l’image du tombeau, comme s’il n’était d’autre réconfort que l’aspiration au sommeil éternel. » Et de m'interroger sur mes obsessions... et le point final que je pourrai en donner.


Autre flash : celui des kilomètres de lecture dans une bibliothèque façonnée au fil des rencontres et des conseils. Livre ouvert sur les genoux, mes yeux s’égarent dans le Sud, sous la pinède de Boisset-et-Gaujac à proximité d’Anduze. Je me souviens qu’à l’occasion d’une visite pastorale à l’approche de Pâques, alors que le pasteur Gérard Poublan — luttant contre un cancer — offrait une grande partie de sa bibliothèque à l’aspirant-pasteur que j’étais alors. il me glissa comme un secret de vitalité spirituelle, cette pratique personnelle :

« Vois-tu — disait-il — il existe un chemin de lecture passionnant dans lequel je m’engage chaque année : celui de la Passion du Christ. Rien de tel pour recevoir en plein cœur la grâce qui nous est faite ! »

Ce fut sa dernière échappée : belle celle-là, car accompagnée de Celui qui le précédait dans sa vie, sa mort prochaine et la résurrection promise.

Mon enquête semble singulièrement se préciser : il y a forcément un lien… Je suis à nouveau devant ma porte vitrée et, me rappelant que notre corps garde l’empreinte de nos émotions passées, je renouvelle le geste... J’y suis :


Alors que jusque-là c’était de l’extérieur que j’observais la pierre roulée à côté du tombeau sombre où le corps du Christ avait été déposé, je me retrouve dans la position de celui qui est entreposé là, avec lui… étendu sur la pierre et dans le linceul ; dans l’attente du souffle de vie… Immobilisé, mais pas vaincu. Dehors, les événements s’enchaînent… Je n’ai pas de prise sur leur déroulement… Tout a été remis dans un dernier souffle entre les mains du Père. Le temps d’une prière faite expiration ultime.

Au-dedans, le calme s’installe : la mort « comme un sommeil » disait le Maître. Je vérifie la pertinence d'un repos sabbatique où se rejoignent commencement et fin. Comme s’il était là, hier encore, pour me préparer à la promesse d’un réveil encore à venir…


J’ouvre à nouveau la porte-fenêtre.

« Ne cherchez plus parmi les morts Celui qui est vivant ! » disait l’homme dans la lumière du matin. Il était pour moi 9 h 10, un dimanche de Pâques.

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